Comprendre les Brochets de lac en début de Saison



Comme abordé dans un précédent article (les cycles thermiques), le comportement des poissons en grand lac à cette spécificité d’être conditionné par des grands cycles physiques, chimiques et biologiques. Prendre en compte ces mécanismes est le premier pas vers la compréhension du comportement des poissons voir qui sait, vers sa prédiction.

Prédire le comportement des poissons, une illusion ? Pas tout à fait. S’il est clairement impossible de prédire ce que fera un poisson isolé, dès que l’on s’intéresse à une population complète tout devient possible. C’est la force de la pêche en grands milieux. Dans un milieu donné, à une saison donnée, les carnassiers ont en permanence plusieurs possibilités pour s’alimenter. 

Chaque possibilité présente des atouts et des points faibles qui feront qu’un nombre plus ou moins grand de poisson s’y intéresseront. Parmi les critères qui conditionnent tout poisson pour le choix d’un type d’alimentation il y a :

  • la facilité d’accès de la ressource alimentaire, 

  • son abondance, 

  • la concurrence  inter ou intra-spécifique qui s’exerce pour l’accès à cette ressource,

  •  le bénéfice énergétique obtenu est toujours pondéré par le risque encouru pour accéder à la dite ressource alimentaire. 

Tout peut ainsi s’analyser en ces termes, par exemple, les pêcheurs au coup évitent généralement les amorces claires pour la pêche des petits poissons car le fretin répugne à prendre le risque de venir s’alimenter sur des fonds qui les rendent bien trop visibles et donc vulnérable à la prédation.

 Il en est de même lorsque la pression de pêche est trop forte sur un secteur. Même si ce secteur présente toutes les qualités pour l’alimentation des poissons. Le nombre d’individus le fréquentant peut être fortement réduit par l’augmentation du risque d’être capturé. L’homme est un prédateur qui influence, comme les autres prédateurs, le comportement de ses proies.

L’analyse de la pêche peut ainsi se conduire de cette manière.

Rechercher quel comportement alimentaire ont les poissons et pourquoi?

 Il n’est pas nécessaire et il est même illusoire de vouloir partir à la pêche avec une idée figée sur ces questions mais c’est au cours de la pêche, en fonction des différents indices recueillis de la présence de poissons, qu’il est possible de répondre à ces questions: 

qu’est ce qui est mangé et pourquoi ? 

Différents schémas pourront ainsi se dessiner et constituer des acquis dans la connaissance de votre plan d’eau. Dans cette logique, toutes les sorties fructueuses ou non permettent de progresser car elles permettent d’identifier certains comportements ou au contraire d’en éliminer. Une approche qui conduit à l’amélioration constante en sorte.

Revenons à nos moutons à savoir la pêche de début de saison. A la sortie de l’hiver, les brochets sortent de leur tenue hivernale pour leur premier rendez-vous de la saison, totalement imposé celui-là: la reproduction. 

Les tenues hivernales sont souvent complexes, j’y reviendrais, mais en revanche les préférences de reproduction sont bien connues: 

des plantes aquatiques et de la chaleur ! 

Bien entendu, en France la pêche durant la période de reproduction est un tabou absolu mais il n’est pas inutile, pour comprendre dans quelles situations se trouvent les brochets à l’ouverture, de commencer par le début.

L’approche vers les zones de reproduction est un comportement irrépressible, non alimentaire, généralement stimulé par la température et probablement par la photopériode (durée du jour et de la nuit). Ce second point est important puisque indépendamment de la climatologie de l’année, les brochets approchent et se tiennent prêts. 

Ce déplacement oblige les poissons à s’activer, et donc à dépenser de l’énergie, tout en quittant leur zone d’alimentation. Le point d’orgue de ce déplacement, prenant parfois la forme d’une réelle migration, est la reproduction qui se déclenche lorsque la température approche 10°C. 

Le site même de reproduction, un secteur herbeux et généralement peu profond,  n’est souvent fréquenté que lors de la phase effective de dépose des œufs. Elle se déroule parfois à partir du mois de février mais est plus tardive en lac en raison de l’inertie de la masse d’eau. 

Comprenez par là que comme le volume d’eau à échauffer est plus grand, celui-ci est plus lent. Il n’est pas rare ainsi que la reproduction se poursuive jusqu’à fin avril, voire début mai, ce qui nous approche de l’ouverture…

Cette migration de reproduction  oblige les poissons à délaisser leur quartier d’hiver ou certains avaient trouvé de quoi s’alimenter. Les plateaux peu profonds étant à cette époque encore totalement vides de vie, les brochets sont affamés dès la reproduction passée. La grande question qui se pose pour le brochet en début de saison est celle-ci: 

où s’alimenter ?

L’échauffement progressif de l’eau a démarré. En tout premier lieu, il est circonscrit aux baies peu profondes, épargnées des courants qui purgent les plateaux de leurs eaux chaudes. Dès que le beau temps cesse, cette eau chaude se disperse et le froid revient.

Lors de cette première phase d’échauffement partiel et instable, une proportion importante de brochets qui ont « goûté l’eau tiède » restent sur leur site de ponte, même s’ils sont seuls dans un premier temps. Cette stratégie est l’une des plus couramment adoptée par les carnassiers qui savent qu’ils n’ont juste qu’à attendre que la vie reprenne. 

Cette eau chaude exerce progressivement un attrait pour l’ensemble des espèces qui constituent son alimentation. Les perches vont venir s’y alimenter, les gardons vont coloniser ces secteurs pour s’y reproduire, suivi des ablettes, des brèmes, des tanches. Une valeur sûre pour le brochet.

Comme tous les autres poissons, le brochet consomme très peu d’énergie au repos. Cette caractéristique lui permet de rester sur un secteur favorable, totalement inactif, et de ne se mettre en mouvement qu’au moment de la journée où les probabilités de succès d’une chasse sont au maximum. C’est probablement ce qui explique l’extrême irrégularité de la pêche à cette saison.  

Les phases d’activité du brochet sont généralement courtes et concentrées aux heures les plus chaudes de la journée. Lors des périodes plus froides, l’eau chaude se dissipe et le fourrage ne bouge plus. L’activité des brochets s’en trouve d’autant réduite. 

Pour réussir à cette époque, il est important d’identifier ces tenues et de les pêcher assidûment. Le déclenchement des touches sur des poissons peu enclins à poursuivre une proie bien loin est un vrai défi mais des gros poissons sont à la clé. 

Il est de plus possible d’assister à des mises en activité synchrone d’un grand nombre d’individus lors d’épisodes particuliers qui vont du grand beau temps au coup de vent. Attention … grosse pêche en vue !

Au delà de ce comportement typique, probablement le plus efficace à cibler pour le pêcheur, une part des individus vaquent à d’autres cibles alimentaires. C’est ainsi que des brochets replongent en profondeur pour trouver des bancs de fourrages engourdis, traquent les gros gardons ou perches qui reprennent leur alimentation sur les premières éclosions de chironomes de début de saison ou chercheront des espèces plus ou moins « exotiques » tels que corégones, ombles ou lottes sur les lacs alpins par exemple. Ces comportements sont nettement plus complexes à cibler car dispersés dans un très grand volume d’eau. De plus, il ne faut pas oublier que si la stratégie d’alimentation d’un carnassier est efficace, il ne mettra pas longtemps à se rassasier, ce qui le rend statistiquement imprenable.

 

De ce point de vue, il ne faut pas perdre de vue que les poissons s’alimentent toute l’année, mais que tous les comportements alimentaires ne les rendent pas facilement « prenables ». Les meilleures configurations ne sont pas forcément celles où le brochet s’alimente beaucoup mais plutôt celles où il « galère » un peu.

Soit en raison de la faible abondance des proies, d’une mobilité importante de celles-ci ou encore de l’importance de la concurrence. Dans ces configurations, il restera actif plus longtemps, sera moins regardant, et n’hésitera pas à se déplacer beaucoup pour s’alimenter.

Il faut une première période d’échauffement bien marquée pour qu’une couche d’eau chaude, mince dans un premier temps, se développe sur l’ensemble d’un plan d’eau. Cette couche est enfin stable mais elle est peu épaisse et flotte comme de l’huile sur de l’eau.

 La stabilité de cette masse d’eau permet enfin le développement du phytoplancton, nourriture du zooplancton, lui-même consommé par le poisson fourrage. Ce premier épisode s’identifie généralement par une réduction très forte de la transparence de l’eau. A partir de ce moment la température de l’eau devient beaucoup plus stable. 

Lors des chaudes journées l’eau peut apparaître superficiellement très chaude mais ce n’est que les jours de vent ou les jours plus froids qu’il sera possible d’apercevoir au sondeur la température moyenne réellement ressentie par les poissons dans la couche d’eau chaude … 15°, puis 18° puis 20 … etc.

Le poisson fourrage devient beaucoup plus actif et vaque partout à la recherche d’alimentation. La pêche est sans conteste la plus productive dans une gamme de profondeur qui correspond à la couche d’eau échauffée. Celle-ci étant peu épaisse, l’activité des poissons est concentrée. 

Géographiquement en revanche, il est maintenant possible de trouver des poissons en chasse sur l’ensemble du plan d’eau et non plus uniquement dans les zones protégées. Certains secteurs de plan d’eau attirent invariablement plus le fourrage que d’autres. 

Pour les trouver le sondeur est totalement inopérant: la profondeur d’eau est trop faible et surtout les poissons sont dispersés et ne se regroupent pas en banc. Un de mes meilleurs indicateurs à cette saison pour trouver les secteurs qui concentrent du fourrage sont les oiseaux, et notamment les Grèbes. 

Comme les brochets ils « tiennent les postes » mais sont nettement visibles. En les observant attentivement il est même possible de connaître la taille des proies présentes … et de calibrer la taille des leurres dessus. Les secteurs riches en végétation appartiennent régulièrement à la catégorie des postes « tenus en permanence » par les carnassiers mais pas seulement. C’est en cumulant les observations qu’il devient possible de connaître « son » plan d’eau. A ce titre, un suivi sans touche est aussi important qu’une capture en termes d’information. Tous aux polarisantes !


Cette première phase intense de production planctonique sonne aussi le début d’un exode massif des poissons des lacs vers la pleine eau. Le compartiment pélagique. Ce comportement perdurera tout l’été, au rythme de l’intensité de la production planctonique. 

Cette biomasse planctonique est une ressource alimentaire massive et dans la nature aucune ressource alimentaire ne reste inexploitée bien longtemps. Tous les poissons sont concernés: 

  • ablettes, 

  • gardons, 

  • perches, 

  • rotengles 

  • et même brèmes. 

Tous les carnassiers suivent sans exception. Pourtant il reste bien délicat de focaliser sa pêche sur ce type de comportement. Plusieurs difficultés se présentent au pêcheur qui voudrait s’y intéresser:

- l’extrême dilution des carnassiers, la surface pêchable dans un plan d’eau relativement profond est démesurée par rapport au linéaire de berge.

- l’absence de poste. Pour le coup il existe rarement de secteurs « fastes ». Les courants lacustres peuvent créer des zones plus favorables que d’autres pour l’alimentation du fourrage. Mais globalement en 24h il passera statistiquement du poisson en tout point.

Pour le brochet, les individus qui fréquentent le plus régulièrement le compartiment pélagique sont les plus gros individus. Probablement que ce mode de chasse nécessite un peu d’expérience ou une vitesse de nage plus importante. Il est certain aussi qu’un petit brochet en pleine eau n’a aucune échappatoire s’il croise un de ses aînés.

Une autre façon d’exploiter ce comportement est de tenter d’intercepter les poissons entre les phases de chasse en pleine eau. J’ai acquis la conviction – sans qu’elle soit définitive – que lors de ces phases de repos ces gros brochets se rapprochent de structure et se « posent ». 

Pour tenter de les trouver il faut se positionner dans la peau d’un brochet. L’accès à la pleine eau doit être rapide et il n’est pas insensé de tenter de chercher les singularités telles que les structures naturelles ou artificielles. 

A ce titre il n’est pas nécessaire que le secteur offre de quoi reposer sur le fond, les brochets pouvant équilibrer leur vessie natatoire pour être en suspension, mais ce phénomène n’est pas rapide et à partir du moment où le poste de repos est profond. J’ai l’impression qu’ils se posent « physiquement » sur le fond.

Les structures verticales (falaises, ponts, pointes rocheuses) sont dans ce cadre des postes de tout premier ordre. Il faut oublier tous les secteurs en pente douce. Les brochets n’étant pas en phase d'alimentation, la profondeur n’a plus d’importance et seul compte la morphologie de la structure. 

Pourtant les brochets ne sont pas totalement inactifs et apparaissent largement prenables. Les meilleures heures pour tenter ces poissons sont la pleine journée car au levé du jour ou en soirée … ils sont en chasse !

Heureusement ce comportement pélagique n’est pas un comportement exclusif et tous les postes fréquentés par les brochets plus petits voient tôt ou tard passer les gros.

L’augmentation de l’ensoleillement et l’arrivée de l’été vont conduire à son épaississement progressif jusqu’à ce qu’elle atteigne sa profondeur moyenne en début d’été.

L’épaisseur de la couche d’eau chaude va dépendre principalement de la profondeur d’eau. Dans un plan d’eau « brun » ou très riche en plancton elle ne sera que de 3/4 m tandis que dans les lacs clairs elle dépasse les 10 m. 

Cet épaississement progressif de la couche d’eau chaude va augmenter d’autant les surfaces exploitées par le fourrage et donc les surfaces pêchables sur les berges. Cela ne signifie pas qu’il faille chercher systématiquement les poissons au plus profond de la couche d’eau chaude mais qu’à partir de maintenant tout devient possible. Il va falloir chercher à comprendre les comportements alimentaires.

Sur certains plans d’eau, le fourrage pourra commencer à former des bancs qui seront autant de postes potentiels d’alimentation pour les brochets. Attention toutefois à la taille des poissons dans les bancs : plus ils sont gros, mieux c’est ! En particulier à partir du mois de juillet les poissons de l’année, perches et gardons notamment vont devenir détectables au sondeur et créer des bancs qui peuvent devenir imposants. 

Ils sont pourtant trop petits pour intéresser réellement les brochets et la pêche dans ce cas est totalement improductive. La pêche dans les bancs marque le début des pêches d’été … que je développerais dans un second article …

Bien entendu cette description des grands traits comportementaux, orientée je l’admets sur les lacs alpins, n’inclut pas toutes les singularités qui font les caractéristiques et parfois la pêche des nombreux lacs français. Mais elle est basée sur des mécanismes universels sur lesquels il devient possible de venir greffer ses observations pour faire sa propre analyse de son lac. Et de suivre ainsi les brochets pas à pas.

Et au niveau technique.

Au niveau technique l’enjeu principal est la maîtrise de la profondeur de pêche bien évidemment. Si les leurres souples se révèlent toujours les plus polyvalents, les pêches de printemps offrent aussi des conditions optimales pour l’ensemble des autres leurres, durs notamment, qui se révèlent parfois les plus productifs. Les poissons étant localisés, l'enjeu principal devient ensuite leur « déclenchement ». C’est l’occasion de faire preuve d’inventivité dans les leurres et les animations. L’occasion aussi peut-être de les prendre avec une canne à mouche ?

A très vite pour la suite…


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